Comment Amazon ruine les e-commerçants
En tant que client j’ai toujours été emballé par Amazon (enfin jusqu'à ce que je vienne habiter en Chine et découvre taobao, mais c’est un autre sujet). Pouvoir tout trouver au meilleur prix et être livré en 24h est incroyable pourtant en tant qu’e-commerçant Amazon m’est profondément néfaste.
Il y a 10 ans, j’ai lancé ma boutique de lingerie masculine en ligne avec 500€ et en quelques années le business a été viable et j'ai pu embaucher. J’ai été le premier à lancer de nombreuses marques sur le territoire français. A notre pic nous proposions jusqu'à 50 marques différentes du monde entier.
Il y a environ 5 ans, Amazon a fait entrer de nombreuses usines chinoises qui expédient directement depuis la Chine, ce qui leur permet d’être très agressifs sur les prix. Les clients se sont naturellement tournés vers des prix moins chers. Nous avons dû nous repositionner, et prendre les mêmes armes pour nous adapter aux nouvelles conditions de marché.
Nous avons donc lancé notre propre marque pour avoir plus de contrôle sur la fréquence et la répartition annuelle des nouveautés et pour avoir des prix plus compétitifs. En peu de temps notre marque a été bien distribuée mondialement et de nombreuses copies à très bas prix se sont retrouvées en vente sur Amazon. Les usines chinoises allant jusqu’à utiliser nos photos ! L’absence de contrôle des copies par Amazon a ainsi sapé nos efforts de repositionnement.
Amazon attirant toujours plus les e-acheteurs, et les usines chinoises y etant toujours plus nombreuses et mises en avant en réaction aux succès de Wish et autre Aliexpress, nous avons décider d’une restructuration complète. Nous avons mis notre catalogue sur la place de marché, avons confié tous nos stocks à leur service de logistique FBA et avons créé notre propre atelier de fabrication en Chine. Nous envoyons donc, en novembre 2016, 6000 produits aux entrepôts d’amazon.
Bien vite nous nous sommes rendus compte que nos produits, jugés pour adultes, n’apparaissaient pas, même en tapant le nom de notre marque ! Trahison supplémentaire, des marques chinoises concurrentes apparaissent bien lorsque l’on cherche notre marque. Comment vendre ? Même en créant notre boutique sur Amazon, nos produits sexys n’apparaissent pas !
Il y a un peu plus d’un an, Amazon change sa politique sur les photos et on ne peut dès lors plus mettre de photos de sous-vêtements portés par des humains. Il faut désormais faire des photos 3d, un travail long, fastidieux coûteux , dont le résultat ne donne pas du tout envie d'acheter !
Je passerai sur les 6 mois d’attente interminable pour un simple changement administratif qui m’ont empêché d’envoyer des nouveaux produits à Amazon pendant ce délai. Imaginez le préjudice pour un business basé sur les nouveautés comme l’est la fast-fashion !
Ce que je ne savais pas en passant à Amazon FBA, alors qu’en tant qu’acheteur j’avais toujours été ravi de la livraison, c’est que pour les vendeurs, Amazon ne propose pas souvent de livraison express pour le lendemain (au mieux ce sera expédié le lendemain) ni de livraison en point relais, un service que nos clients appréciaient pour recevoir leur lingerie coquine discrètement. Amazon pousse à souscrire au système paneuropéen pour accroître les ventes en Europe,mais oublie de signaler que les stocks ainsi disposés aux 4 coins de l’Europe ne permettront plus une livraison en 24h en France. Nous devons donc offrir moins d’options de livraison depuis que nous sommes passés à Amazon.
Il faut aussi penser au temps passé à créer les nouveaux codes barres pour Amazon, l’étiquetage, aux délais de rangement très aléatoire des produits par le FBA qui font encore perdre du temps et qui enlèvent encore du temps à ce qui est important pour une marque : sa communication !
Autant j’étais ravi au départ de ne plus avoir à devoir parler à de multiples prestataires : chronopost, la poste, mondial relay, autant j’ai très vite vu les limites du service client d’amazon et son gros problème : le cloisonnement entre les divers services. Un exemple parmi tant d’autres : Il a fallu deux semaines pour que Amazon nous déclare avoir refusé un arrivage car il faisait 2kgs de trop, après avoir dit qu'il était bien enregistré dans le système deux semaines plus tôt. Mais pendant ce délai de 14jours, pour tout colis expédié à Amazon, il est impossible d’obtenir une information réelle. Encore du temps où des produits n’ont pas été vendus. Clairement sur les douze derniers mois, il y a trois mois où nous n’avons pas pu envoyer de nouveautés. Imaginez si cela était arrivé à H&M !
L’internationalisation devait aussi être une bonne raison de passer à Amazon. Alors il est vrai qu’avec juste un clic, nous avons enregistré des ventes en Europe. Mais notons qu’avec Amazon nous ne pouvons plus livrer ni la Suisse, ni les DOM-TOM, ni le Québec. Nous avons donc dû créer un site pour les pays hors UE que nous livrons depuis notre atelier en Chine et devons gérer un stock double. Mais nous voulons vendre sur Amazon US et Amazon Japon, toute vente est bonne à prendre. Ce qui est annoncé comme juste une extension de notre compte européen est en fait un nouveau sacerdoce avec de nouveaux documents à fournir, et encore du temps à perdre alors que les abonnements sont prélevés dès le premier clic.
Au final, j'ai été vraiment déçus des services d’Amazon en tant que vendeur, l’entreprise m’a forcé à changer mon business model plusieurs fois pour finalement me mettre à sa merci, n’étant qu’un parmi les millions de vendeurs sur la plate-forme. J’ai moins de temps pour vendre mes produits, moins de marge pendant les soldes, moins d’options de livraison, plus de contrefaçons et l’exposition sur Amazon n’a pas été au rendez-vous. L’adaptation aux évolutions du marché doit être dans l’ADN d'une entreprise, mais quand le marché n’est plus le résultat d’interactions entre une infinité d’entreprises mais qu’il n’est plus que les conditions d’utilisation d’une seule place de marché omnipotente qui n’a pas pour préoccupation la création d’un environnement équitable, quelles sont les véritables marges de manœuvre d’une Entreprise ?
Le referais-je ? Hélas, ce n'est pas comme si j'avais le choix.
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